MEMOIRES d'Hélie de St MARC

Auteur : Hélie de SAINT MARC

Avec la collaboration de Laurent BECCARIA 

Editeur : PERRIN, 1995

Acheté le 12/02/1966.    Lu par LRT en juin 96

 

 

 

 

 

 


 

 

Mes commentaires

Page 116 :

Vu de près, le totalitarisme est immonde. Il décervelle les hommes, aussi sûrement qu’une drogue.

Le drame du Vietnam demeure d’avoir connu, à la tête des premiers mouvements d’indépendance, des communistes formés à l’école de l’Internationale, pure et dure 

Les archives de Moscou, que l’on découvre aujourd’hui, avec un effarement tardif, montrent l’étendue du contrôle soviétique sur ses alliés internationaux.

Quand le dessous des cartes de la tragédie vietnamienne sera, à son tour, dévoilé, il est à craindre que beaucoup d’hommes, qui se sont laissés prendre à la mythologie romantique des combattants aux pieds nus, et au vélo à la main, ne découvrent, avec stupeur, qu’ils ont cru à un théâtre d’ombres.

L’horreur de notre siècle tient à ses espérances perpétuellement bafouées.

Je pense, parfois, à la désolation de ceux qui ont cru, sincèrement, à la révolution vietnamienne et à sa pureté quand ils contemplent, aujourd’hui, le terrifiant mausolée d’Hô Chi Minh, entouré de trafiquants et de mendiants estropiés. 

Tant de naufrages inouïs pour un naufrage sans appel…

Les quarante ans de conflit qui ont fait, d’un pays sublîme, un champ de bataille perpétuel, sont nés de cette dualité infernale : indépendance et communisme. La mise en œuvre des accords, entre Leclerc et Hô Chi Minh, en 1946, aurait évité une guerre civile mais pas l’asservissement d’un pays et l’établissement des camps.

 

Page 118 :

En deux générations, le communisme asiatique, que ce soit dans sa forme chinoise, vietnamienne, cambodgienne, ou coréenne, a broyé plusieurs dizaines de millions d’hommes et de femmes, engloutis, sans un remords, par un Moloch, sans tête et sans âme.

 

Page 242 :

Comme tous les combattants qui se jaugent en connaisseurs, nous respections nos adversaires. Nous les obligions à mener une vie épuisante, faite d’accrochages, de trahisons, de courses-poursuites, de retraites là où il faisait le plus chaud, le jour, et le plus froid la nuit.

Le bureau de renseignements était remarquablement bien tenu. L’ALN aimait beaucoup les photos. Nous en récupérions un grand nombre. Elles nous servaient à recouper des noms, des organigrammes et, surtout, à observer les regards. La fierté, et l’impassibilité des années 1956 ou 1957, avaient fait place à l’épuisement et à l’inquiétude. Pourquoi ces hommes continuaient-ils la lutte ? 

Page 246 :

On nous rebat les oreilles avec les méfaits de la colonisation, mais tous les peuples de la terre ont cherché à imposer leur puissance. Hier, ce fut la conquête, l’empire. Demain, ce sera l’économie, l’argent. Où est la différence ? Je suis un ancien colonisé.

Dans le Languedoc, mes ancêtres ont été dominés par les Romains, puis par les hommes du Nord. Dans la langue française, on compte, sur les doigts des deux mains, les mots issus du gaulois contre des milliers de termes, dérivés du latin.

Quand les Américains nous font la morale, ils oublient les massacres indiens perpétrés par leurs ancêtres ! D’esprit, les Américains sont un peuple colonisateur. Par la puissance de leur économie, ils diffusent leur langue, leur culture, leur système de pensée.

Nos arrière-petits-enfants parleront peut-être une langue largement puisée dans l’anglais. Vos amis vietnamiens sont un peuple colonial. Ils ont envahi l’Annam et la Cochinchine. En Asie, quel pays n’a pas été colonial ? En Chine, à peine la moitié de la population est composée de Célestes.

Page 248 : 

L’erreur est à la source. On n’a pas choisi. Il fallait soit christianiser l’Algérie : à l’époque, les Algériens étaient essentiellement berbères, chez beaucoup d’entre eux, l’islam était encore superficiel ; ou bien alors, il fallait s’engager dans la voie de l’Empire arabe imaginée par Napoléon III. L’intégration ou l’indépendance, il n’y a pas d’autre choix. L’Algérie n’est pas une terre d’harmonie mais de violence. Elle ne connaît que les solutions extrêmes. 

Page 250 :

Lorsque j’ai été relevé de mon commandement. J’ai appris, alors, par divers informateurs, ce qui se tramait. Pour de Gaulle, le plan Challe n’avait été qu’un leurre.

 

Un leurre… Le mot provoqua un choc dans ma mémoire. Je me rappelai les discours officieux des autorités françaises durant ces mois incertains.

A chaque déclaration du chef de l’Etat (phrases assassines sur les pieds-noirs, « Algérie algérienne », etc.), son entourage militaire, et le cabinet de Michel Debré, nous expliquaient, la main sur le cœur : « Ne vous inquiétez pas, c’est un leurre pour l’ONU… »

Certains, plus détachés par rapport à l’autorité, se méfiaient. La plupart d’entre nous répercutaient, fidèlement, la consigne jusqu’à l’échelon le plus modeste. Hélas ! Le leurre n’était pas destiné à l’étranger, mais à l’armée.

Quoi que l’on pense du bien-fondé de l’indépendance unilatérale de l’Algérie, personne ne pourra jamais justifier la comédie tragique des mois, précédant le putsch, sur le plan de l’éthique élémentaire et de la responsabilité humaine.

Pendant plusieurs mois, nous avons été les victimes d’un mensonge organisé, martelé, et, à mon sens, monstrueux. Les hommes d’appareil se plaisent, bien sûr, à répéter que les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

Cependant, le double langage, en Algérie, atteignit, à cette époque, des sommets que l’on a du mal à restituer aujourd’hui. En 1960, lors d’une tournée d’inspection, le général de Gaulle, lui-même, nous a ainsi juré : « Moi vivant, jamais le drapeau vert et blanc du FLN ne flottera sur Alger », alors qu’il avait déjà décidé d’engager des pourparlers avec le GPRA !

 

Si l’armée avait été seule en cause, on aurait pu parler de machiavélisme, de tactique du crabe, voire de pragmatisme. Mais la présence des centaines de milliers d’Algériens, que nous engagions chaque jour à nos côtés, transformait ce jeu de go politicien en abus de confiance.

 

A Mostaganem, le FLN avait abattu, à neuf reprises, le porte-drapeau des anciens combattants musulmans. Mais, dix fois, un autre volontaire avait pris sa place. Les harkis, et moghaznis, n’étaient pas seuls. Il y avait les élus des scrutins de 1958, les caïds, les fonctionnaires, les professions libérales, etc.

Ces musulmans avaient misé leur peau, et celle de leurs familles, en rejoignant les rangs français. Par égard, ils avaient droit à autre chose qu’à du vent.

Page 252 :

Aux jeunes générations qui n’ont, de cette période, qu’un vague écho distinguant mal, entre les dates et les événements, je voudrais rendre compte, ici, de ce que fut, alors, notre sentiment de trahison.

J’aimerais qu’ils sachent, avant de juger leurs aînés, par quelles angoisses nous sommes passés lorsque  nous avons compris que, dans le combat pour l’Algérie, le général de Gaulle utilisait, comme des armes courantes, le mensonge, la duplicité et le cynisme.

Quelque chose de vital, et de définitif, s’est alors cassé en nous, qui ne revivra plus jamais. On peut discuter, sans fin, de l’indépendance. En soi, elle ne me choquait pas à condition de respecter les droits de chacun.

Mais cette indépendance-là fut plus douloureuse qu’une amputation. La France a laissé, dans l’affaire, une part de son âme et de son génie propre. Elle s’est abaissée à des actes monstrueux : non-assistance à des hommes en danger de mort, livraison d’innocents, mensonges d’Etat.

Elle a cru donner la liberté à un peuple en la donnant à un clan. Elle a condamné l’Algérie aux convulsions des nations bâties sur un malentendu. Elle l’a amputée d’une grande partie de ses forces.

 

Page 255 :

Détrompez-vous, mon cher Hélie. Si Salah, le chef de la Wilaya 4 était prêt à engager des pourparlers.

 

Page 256 :

 

Dans son grand livre sur la guerre d’Algérie, Yces Courrière cite cette phrase du Général : « Personne ne parlera de l’affaire Si Salah. Et celui qui en parlera n’en parlera pas longtemps. »

 

J’ai appris, ensuite, comment le dernier survivant de l’entretien de l’Elysée, Si Mohammed, avait été éliminé par un commando du 11è Choc, venu, pour l’occasion, de Corse. Ancien du service Action, il me semblait reconnaître la marque de cette opération. Ne s’agissait-il pas d’une action « homo », comme homicide, menée sur ordre direct du chef de l’Etat ?

Page 257 :

Mon général, pensez-vous que l’affaire Si Salah ait pesé sur le verdict ?

Je m’attendais à une fin de non-recevoir. Mais il m’a répondu, un peu brusque :

  • Cela a été déterminant. Aussitôt, il a changé de conversation.

Page 264 :

En me rendant au rendez-vous, j’eus le temps de définir ma position. Le colonel était en permission. J’étais, pour quelques jours, le seul responsable du 1er REP. Je me doutais de la proposition qui allait m’être faite.

Je savais, déjà, que je ne ferais pas obstacle au mouvement. Ma participation dépendant des garanties que l’on pourrait m’apporter. Je refusais, d’avance, une entreprise activiste ou raciste.

Page 271 :

J’ai remis le régiment au colonel Guiraud, revenu de permission en catastrophe. Il ne me fit aucun reproche.