Le ONZIEME COMMANDEMENT.
Auteur : André ROSSFELDER
Editeur : GALLIMARD.
Acheté le 28/8/2000 à Carrefour pour 137,75 Frs. Lus en sept 2000.
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Page 96, 97 : 1943.
Ferhat Abbas et ses amis ont connu, eux aussi, leurs moment de déconvenue. Ils sont venus frapper à la porte du nouveau gouverneur, le général Georges Cartroux, des Cartroux de Saïda, qui arrivait du Proche-Orient. Sur les conseils de Cartroux, de GAULLE a courtoisement rejeté leur « Manifeste », le moment était mal choisi. Il y penserait.
Leurs revendications se sont alors durcies. Les délégués financiers musulmans sont venus les appuyer pour demander la formation immédiate d’un gouvernement conjoint de français et d’Algériens, qui devrait aboutir, la paix venue, à la création d’une « nation algérienne, indépendante et souveraine » … De GAULLE a balayé ces exigences avec irritation.
Page 99 :
Nous avons appris des maximes anciennes et nouvelles :
« Les faits sont têtus », « le pouvoir ne recule jamais », « la vertu est dans la victoire », etc… . Dans le même genre, j’ai ajouté la mienne : « Le pouvoir innocente », puisque le bon droit, quelqu’un l’a déjà dit, découle d’un rapport de forces et que la légitimité, quelqu’un le dira plus tard, prévaut sur la légalité.
Page 106 : Mars 1944, proposition proclamant le principe d’égalité civique entre Européens et musulmans.
Ce n’était pas la voie d’une indépendance future, d’une Algérie égalitaire, laïque et autonome, associée à la fois à la France et à ses voisins maghrébins que souhaitait FERHAT ABBAS, le leader des « Amis du Manifeste ». Plein d’amertume, il s’était rapproché de MESSALI HADJ et des Oulémas, qui, à ses propres exigences de souveraineté et de redistribution des terres, ajoutaient la primauté de l’islam et de la langue Arabe.
Page 212 :
Ce même jour, 8 mai 1945, une insurrection éclatait dans le Constantinois qui allait blesser pour longtemps mon pays. En France, la grande presse n’en parlera guère, sinon le journal Combat où une série d’articles d’Albert Camus aidera quelques français à découvrir cette Algérie que le plus grand nombre ignorait, et l’Humanité qui dénoncera le caractère provocateur et réactionnaire de cette émeute indigène.
Page 218 :
L’Occupation et la Libération ? Lire : L’Accommodement et l’Epuration. C’est le vrai titre de ce chapitre de l’histoire de France qui est devenu maintenant celui d’une résistance et d’un soulèvement armé.
Page 220 : A propos de « l’effort de guerre » de la France concernant la libération… …
La bonne excuse : Les Américains avaient refusé de nous de nous fournir les armes nécessaires. Et la bonne raison : Le général de GAULLE n’avait pas voulu créer de divisons fraîches de crainte qu’elles échappent à son autorité, s’affrontent et jouent contre lui. … Cela fait, son premier voyage de chef d ‘état avait été pour aller saluer STALINE à Moscou et signer un accord franco-soviétique. Le pouvoir atteint, sa conservation et sa distribution occupaient l’esprit des nouveaux dirigeants plus que l’écrasement final du troisième Reich.
Page 227 :
… la place de vrai patron était tenue par un jeune professeur énergique nommé Robert LAFITTE. Il avait replacé pour nous les indices de pétrole algériens dans la logique des idées nouvelles.
Page 233 :
Les siècles de l’Islam sont passés par là.
Le temps s’était arrêté. Les gens vivaient sans besoin d’imaginer ni d’inventer, sans ambition, dans le Coran, les légendes et les mythes plus que dans l’histoire. Les accidents de la vie, maladies, catastrophes ou conflits, maîtrisaient leur nombre sans qu’ils aient à y penser.
La France est arrivée. Elle leur a apporté un monde à l’envers du leur et le temps a repris sa marche. Leurs enfants ont cessé de mourir. Les mosquées et les écoles coraniques se sont multipliées plus vite que les églises, plus vite que les lycées. Les hommes qui restaient incultes l’étaient par choix ou par malchance, les femmes par le dessein des hommes. Pour elles, rien ne changeait.
Les prestations médicales et familiales sont les mêmes pour eux que pour nous, mais signifient bien plus pour eux dans leur économie de subsistance que pour nous.
Page 234 :
En recopiant la Bible, un scribe s’est trompé. C’est en chassant nos ancêtres du jardin d’Eden, et non le sixième jour de la Création, que JEHOVA leur a dit, le regard dur et le doigt tendu vers l’horizon : « Croissez et multipliez ». C’était une malédiction. Et Mahomet a repris l’injonction malheureuse.
Page 362, 363, 364 : 20 août 1955
Dans les montagnes reculées de l’AURES et des NEMENTCHAS et les massifs difficiles de la côte constantinoise, quelques bandes survivaient.
La rumeur s’était répandue qu’un nouveau gouvernement algérien venait de s’établir dans les forêts de chênes-lièges de la presqu’île de COLLO.
Les hommes s’étaient lancés, enfiévrés par leur nombre, leurs propres cris et les stridulations syncopées des femmes.
« Hurlant et possédés », dirent les témoins qui les virent soudain déferler ce samedi-là au milieu d’un après-midi assoupi dans les rues de CONSTANTINE et PHILIPPEVILLE et dans les villages d’EL ARROUCH, OUED ZENATI, AÏN ABID, COLLO, EL HALIA, fusillant assommant égorgeant, éventrant hommes femmes et enfants Européens et musulmans. Cent vingt-trois morts : Soixante Européens et cinquante et un musulmans qui s’interposaient.
Page 234 : C’est le problème qu’on voyait se dessiner avec de Gaulle et ses gens. Si vous aviez partagé son combat autrefois, vous lui deviez votre âme éternelle, hors de quoi c’était la damnation.
Page 314 : Tout effort vers le changement irait à la fois contre l’ordre colonial existant et contre les coutumes.
Page 354 : Pourquoi ne parle-t-on jamais des muftis, des imans, des talebs, des marabouts ? Quelle part on-ils prise dans l’injustice qui naît de la double indolence de Paris et d’Alger ?
Ont-ils jamais avancé en mille ans l’idée de la liberté individuelle après avoir écrasé chez les Berbères l’une des plus vieilles démocratie du monde, Savent-ils voir dans la bénédiction des familles nombreuses la malédiction de la misère ? Reconnaître dans la femme asservie la mère qui sera l’enseignante naturelle de l’enfant ? Ouvrir leurs écoles coraniques et leurs medersas à cet avenir qu’ils revendiquent et récusent à la fois.
C’était en vérité une guerre qui venait d’éclater, commençant par une chasse au pouvoir, progressant par une guerre intestine, finissant dans une guerre religieuse, qui verra s’affronter deux Algéries cherchant à naître dont l’une devra nécessairement étouffer l’autre. Ce n’était pas cette guerre des Français contre les Algériens qu’elle passera un jour pour avoir été.
Page 376 : CAMUS.
Il voyait dans une victoire du FLN la même fatalité de carnage, de chaos et de tyrannie qui accompagnait les conquêtes, à commencer par la conquête arabe dont ce mouvement se réclamait.
Il éprouvait un mépris grandissant pour ces fameux intellectuels dit libéraux qui, de Paris, de plus en plus bruyants, justifiaient le FLN en tout et nous condamnaient pour tout.
Il ressentait comme une insulte leur comparaison entre la présence française et l’occupation allemande, entre la rébellion et la Résistance.
Il rejetait sur la carence historique des gouvernements de Paris, bien plus que sur la myopie des colons, la responsabilité de l’injustice et de la misère dont s’était armée la rébellion.
Page 381 : 1956, CAMUS organise une conférence : Il voit une Algérie où tous se sentent égaux et responsables et qui reste étroitement liée à la France.
Page 387 : CAMUS suite… Un Européen déclare que la tentation d’humilier n’est pas un effet de la race mais de l’autorité.
Il voit l’indépendance déboucher soit sur l’anarchie, soit sur la dictature et en tout cas sur l’intolérance et la misère.
Page 395 : CAMUS suite .. Le gens du FLN tiennent les quartiers arabes, les fellahs de l’intérieur et les travailleurs émigrés en métropole, par les méthodes apprises de leurs mentors russes, chinois, égyptiens ou français : L’élimination des rivaux, la peur qui soumet, le choc aliénant l’horreur, l’armature cellulaire qui paralyse et capture.
Page 401 : Les fellaghas sont allés ensuite massacrer les habitants d’une mechta voisine qui les avaient mal reçu, massacre dont les voix du FLN accusèrent l’armée selon l’usage : Les villages voisins qui savent apprennent la leçon, l’étranger qui ne sait pas condamne la France.
Page 406 : La fédération de France du FLN deviendra la corne d’abondance du FLN au coût moyen de cinq mauvais payeurs tués ou mutilés chaque jour : Onze mille cinq cent soixante sept en six ans.
Lorsqu’en 1962 de Gaulle relèvera le FLN de ses cendres et lui donnera le pouvoir …
Page 413 : … nos arpents de sable algériens rejoignent les arpents de neige canadiens de Voltaire..
Le FLN totalitaire, sectaire, raciste et incapable de gérer une économie moderne …
Tous ces devins, si sûrs d’eux, jusqu’où porte leur regard ?
Leur foi implacable dans la marche prévisible de l’histoire les forces à récuser les inévitables surprises de la science et de la technique.
Il n’y a pas d’invention, mais seulement des découvertes, et vers elles l’aventure et l’entreprise. Ces immobiles, le savent-ils ?
Page 423 : 16 janvier 1957. Attentat contre SALAN.
On entendit parler d’une conspiration gaulliste menée par le sénateur Michel DEBRE, le héraut le plus intransigeant de la présence française en Algérie.
Le 28 janvier 1957, une grève de huit jours, ordonnée par le FLN à l’occasion du débat de l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’Algérie, était cassée par les parachutistes qui forçaient la réouverture des magasins et emmenaient les gosses à leurs écoles.
Page 425, 426 : Le 2 juillet 1957, à la tribune du Sénat américain, Jack, futur président des états unis, avait fait le procès de la France et demandé que la question algérienne soit portée devant les Nations Unies.
CAMUS m’a appris qu’il a rompu avec Jean DANIEL. Ce dernier semble consentir sans plus guère d’ambiguïté à la victoire du FLN. Il a déclaré à Paris qu’une Algérie laïque, démocratique et multiconfessionnelle était un fantasme. Elle ne pouvait être qu’Arabe et islamique.
Cela au même moment où il reprochait aux pieds-noirs de s’effrayer à l’idée de vivre dans un tel état sous un partit unique forgé par la terreur, lui pourtant averti de l’intolérance et du fanatisme.
Avec Jules ROY, la rupture n’a pas été nécessaire. Il a suffi de le laisser dériver et de le perdre de vue.
Page 429, 435 : Même le vicaire du Christ, PIE XII, qui avait gardé le silence devant l’holocauste hitlérien et se taisait devant le Goulag stalinien, dénonçait la dureté des interrogatoires menés par les militaires français.
Ils donnaient (le parti des intellectuels) au FLN sa souplesse et sa musculature idéologiques. Ils dépeignaient sa chasse au pouvoir comme une révolte de pauvre gens contre des accapareurs qui se doublaient d’intrus. Ils lui inventaient une nation et une histoire que l’histoire lui déniait et qui, par voie de conséquence, faisaient de la France une puissante occupante et d’une lutte intestine, une guerre étrangère.
Ce que les rebelles eux-mêmes nommaient « le parti de la France » était devenu l’ennemi fondamental parce qu’il représentait la possibilité inadmissible d’une Algérie qui rejetterait le pouvoir du FLN et choisirait de rester avec la France pour rester avec l’Europe.
Ma génération n’était coupable en rien et je n’avais pas à juger mes ancêtres. Leurs valeurs étaient celles de leur temps et ils avaient créé ce pays sous un soleil plus cruel que généreux. Pionniers ils l’étaient … Ils tombaient par familles entières du choléra, du typhus, du paludisme, de la dysenterie, de la tuberculose et parfois de simple famine et d’épuisement, ou encore sous les balles de quelque assassin.
Ils ne devaient qu’à eux-mêmes la terre dont ils vivaient.
A mesure que la France apprenait l’Algérie et le spectacle de son œuvre pour en faire un pays moderne venait s’opposer à l’histoire des temps barbaresques …
Les sévices, la question, la torture. … Soudain, avec la bataille d’Alger, nos assassins lointains avaient trouvé un bon javelot à planter dans le dos du soldat, surtout s’il portait l’uniforme para, une arme enfin capable de détruire à la fois la dernière raison du combat et la dernière valeur qui lui valait le respect de la nation : Son honneur et son courage.
L’interrogatoire, sévère ou non, ne pouvait qu’être un acte de violence physique ou mentale. Il rejoignait ces besognes qui étaient passées pour nécessaires ou tout au moins pardonnables dans l’autre guerre dont la cause était juste : Le bombardement des populations civiles, l’exécution sommaire de l’ennemi sans uniforme, la balle dans le dos de l’officier allemand ou dans la tête du prisonnier encombrant. – Qui deviennent exécrables dans une guerre dont la cause est réputée mauvaise.
Là où le jeune officier voyait dans son prisonnier sa seule chance d’atteindre les racines de la terreur et de sauver des innocents au prix de sa propre innocence, le rhéteur lointain y voyait l’être humain qu’un autre être dégrade.
Depuis son univers sans doutes, sans enfants crucifiés, sans filles empalés, sans hommes émasculés, sans membres épars dans le sang, il ne s’abaissait pas à comprendre celui qui voulait éviter le retour de ces spectacles.
Il se serait montré scandalisé si on avait osé lui parler de la connivence qui se crée entre l’interrogateur et l’interrogé, ou encore de la brutalité comme d’un rite qui permet à l’interrogé d’offrir un visage héroïque avant de dénoncer les siens.
L’état n’avait pas voulu faire le choix juridique entre la guerre et la paix, Le soldat était laissé seul avec ses cas de conscience et la mission de vaincre. « Par tous les moyens » avait précisé le patron de la 10ème DP, le général MASSU, grognard à l’esprit sans détours
Un seul cas, un seul homme pouvait entacher l’uniforme sous la loupe des rhéteurs, mais personne chez ces derniers n’élevait la voix pour dénoncer le commerce de la torture, les photos maquillées, les récits inventés, les contusions volontaires, la comptabilité des libérés et des transférés qui devenait en passant la Méditerranée une comptabilité de disparus.
L‘Armée des combattants, des instituteurs, des charpentiers, des maçons, des infirmiers, cette armée de héros et de sacrifiés, ils en faisaient une armée de tortionnaires indigne de la nation.
L’exaction coloniale et la torture excusaient à elles seules la fructueuse pratique de la terreur. Assis dans les hauteurs, loin de la bataille, dans un rôle de témoins afin de pouvoir se faire moralisateurs et de se glisser dans la robe des jours, ils allaient fermer une à une toutes les issues, répondre à tous les arguments et prononcer leur sentence. Là bas comme ici : La valise ou le cercueil, nous ne méritions pas mieux. Ils allaient nous refuser la compassion qui aurait demandé d’eux une certaine compréhension donc une participation. Ils nous conseillaient, sévères, de regarder le monde autour de nous, d’observer la progression du marxisme ou le réveil de l’Islam, de savoir reconnaître que le vent venant de l’Est était celui de l’Histoire.
Ils affirmaient, doctrinaux : « La situation coloniale est d’une façon inhérente et concrète, une atteinte permanente à la dignité qui justifie tout ce qui peut être fait pour s’en débarrasser. » Ou encore, sentencieux : « Puisque le but de la colonisation est de libérer le colonisé de la misère, de la maladie, de la peur, etc …sa finalité est donc la disparition même du colonisateur qui, s’il s’attarde, mérite de périr.
« Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne doit pas, porter atteinte aux droits des minorités, mais
Le colonisateur a perdu ses droits par ses iniquités et d’ailleurs, l’histoire (toujours elle) prévaut sur la justice.
Ils ne pouvaient pas comprendre les promesses de l’autre culture et l’Algérie succombait de leur ignorance. Ils nous jugeaient, nous condamnaient et, sans y paraître, nous annihilaient peu à peu, parce qu’en détruisant le légitimité de l’œuvre et du combat de la nation commune, ils faisaient qu’on travaillait et mourait pour rien dans cette malheureuse province. Pauvres paras, pauvres pieds-noirs compagnons d’anathème.
Après tout, colons et fellahs, soldats et harkis, ils n’ont pas choisi leur histoire et leur destinée leur a toujours échappé.
Page 438, 439 : Le pétrole. Même le général de Gaulle est sorti un jour de sa retraite de Colombey.
Il a revêtu sa tenue militaire et a déclaré aux pétroliers avec cette habitude retrouvée et un peu ridicule de confondre la France et lui-même : « Dans notre destinée, ceci peut tout changer ».
Des paroles à peine entendues mais qui frappent la bonne corde en dépit de leur emphase.
Elle témoigne aussi, inévitablement, de son obsession de revenir au pouvoir « Par tous les moyens, même légaux ».
Elle mettra sans doute fin à la rumeur qu’il favoriserait l’indépendance de l’Algérie et qu’il aurait même discrètement encouragé le FLN, par la truchement de son ami Mohammed V, compagnon de la libération, à tenir bon contre le gouvernement français dans l’espoir de profiter lui-même du pourrissement de la situation.
Une rumeur aussi malveillante que suspecte. …
Janvier 1958. C’est l’époque où les forces rebelles ont atteint leur plus gros effectif de toute la guerre d’Algérie : Environ 50 000 hommes. Celui du « parti de la France » harkis groupement d’autodéfense et autres supplétifs armés, en est alors au même chiffre. Le premier commence à décliner tandis que le second ne va plus cesser de s’accroître.
Toutes les sociétés pétrolières vouées au Sahara sont certaines d’une chose : La France, et non pas une poignée de terroristes, et encore moins l’opinion internationale, décidera du sort de l’Algérie et, quel qu’il soit, le Sahara restera français.
Page 441, 442 : De Gaulle raconte dans ses mémoires … Ignorant tout des manigances de quelques ambitieux abusant de son nom, il a répondu à l’appel du peuple français et est sortie de sa retraite pour ramener à la raison les militaires et les pieds-noirs qui s’agitaient en Algérie et menaçaient la République.
N’en croyez pas un mot.
Bien des témoins vivent encore ; les historiens ont clairement établi les faits, même si parfois ils préfèrent encore les habiller. Comment a-t-il pu mentir avec tant d’aplomb ? J’ai vécu ces temps-là. L’agitation et la conspiration étaient ses hommes : Soustelle, Debré, Chaban-Delmas, Delbecque, Neuwirth, Frey, Triboulet, Guichard et bien d’autre, tous ardents défenseurs de l’Algérie française. Le coup d’état, c’était lui. Il avait œuvré dur pour la chute de la république, pour en devenir, comme il le dit sans ironie, « le recours ». Il était maître des orages.
L’assemblée générale de l’ONU en avait pris acte.
Tout en perdant la guerre d’Algérie, le FLN gagnait celle de la diplomatie après avoir gagné celle de l’intelligentsia.
Page 445, 447 : La population française de l’intérieur qui se sent abandonnée et les français musulmans qui, chaque jour plus nombreux, ont redonné leur confiance à la France, assurés de nos promesses réitérées de ne jamais les abandonner.
L’armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national.
De Gaulle ? Pourquoi pas ?
Quant à ses sentiments à l’égard de l’Algérie française, fallait-il en douter ? Ses deux fidèles, les plus en vue du public, Jacques Soustelle et Michel Debré, en étaient les avocats les plus déterminés. Il ne les avait jamais désavoués.
N’avait-il pas couvert sinon ordonné la répression sévère qui avait empêché les émeutes de mai 1945 de déborder.
N’avait-il pas proclamé, en octobre 1947, ce que le monde devait penser de l’œuvre magnifique des Français en Algérie ?
Page 460, 461 : Les Algériens crient « Vive de Gaulle » comme le font d’instinct les Français quand ils sont plongés dans l’angoisse ou dans l’espérance.
Ils donnent la meilleure preuve que les Français d’Algérie ne veulent pas, ne veulent à aucun prix se séparer de la métropole. Car on ne crie pas « Vive de Gaulle » quand on n’est pas avec la nation.
Après avoir pesé chaque mot, Raoul Salan lui apporta sa vois : « Dix millions de Français décidés à rester français, indissolublement liés à l’armée et à la République, vous disent, mon général, que vos paroles ont fait naître dans leurs cœur une immense espérance de grandeur et d’unité nationale. »
D’une voix, il (le général) pressait l’armée de se tenir prête à intervenir, d’aune autre, il s’offrait à en protéger la République. Comme coup d’état, c’était bien plus habile que le 18 Brumaire.
Page 464, 465 : A la foule dense et mêlée du Forum, levant les deux bras sur le balcon du GG, à quelques mètres d’où j’étais, il a crié d’une voix forte : « Je vous ai compris. » Et à Bône, aux musulmans : « Venez à la France, elle ne vous trahira pas. » Et à Oran : « L’Algérie est organiquement une terre française, aujourd’hui et pour toujours » Et enfin à Mostaganem d’un grand élan final : « Vive l’Algérie française ! ».
… Quant à ceux qui en métropole craignaient de voir leur destin livré au bon plaisir d’un autocrate, il leur avait déjà déclaré avec de l’amusement dans la voix : « Ce n’est pas à mon age qu’on devient dictateur. »
Je me donnai une dernière tache : Un livre dont le titre serait » l’Algérie à bâtir », un essai sur la guerre qui ne manquerait pas de finir bientôt. Je pouvais imaginer une terre qui unit au lieu de diviser, un peuple accommodant ses différences, une communauté de l’effort et de l’entreprise, une Algérie française dépassant l’idée de nation close et qui deviendrait un jour l’Algérie d’Europe.
13 mai. La raison qui avait entraîné tant de musulmans était pourtant simple, els étaient les réprimés, les silencieux, ceux qui avaient souffert le plus aux mains de ceux qui voulaient le pouvoir en leur nom ; Il avaient comparé ce qu’ils pouvaient perdre et ce qu’ils pouvaient prévoir.
Page 466, 469 : Combien ont survécu aux temps qui allaient venir ? Combien ont fini dans les grands charniers mêlant mille corps de musulmans et d’Européens, découvert plusieurs années après l’indépendance au sud de M’sila.
Quant à de Gaulle, porté au pouvoir aux cris de « Algérie française », qui aurait cru qu’au long de quelques années suivantes, il conduirait le France à la capitulation et au reniement, une partie de l’armée à la révolte et le reste au déshonneur, les pieds-noirs à la valise ou au cercueil, les musulmans qui avaient choisi la France à des morts indicibles ; qu’il rejetterait l’Algérie vers ses anciennes malédictions, qu’il remettrait le Sahara et ses pétroles à ceux qui ne les avaient jamais rêvés, découverts, travaillés ?
Le coup d’Etat en triomphant avait réprimé la révolution.
Page 474 : On pouvait de nouveau circuler sans trop de crainte sur les grandes routes de l’Algérois et vers le Sud. L’ORANAIS était paisible. Seules quelques bandes de fedayin survivaient dans des régions montagneuses du Constantinois. Les barrages électrifiés tenaient les forces de l’ALN derrière les frontières marocaines et tunisiennes.
Page 477, 478 : Mai 1958. Il n’avait jamais pu se dégager, comme tous ceux qui l’avaient vécu de près, du souvenir de cette époque. Roumis et arabes, gouara et arabicos, nous avions compris ensemble que la guerre d’Algérie était une guerre intestine entre le parti français et le FLN, entre l’Algérie d’Europe et celle du panarabisme, entre une certaine liberté et une dictature certaine.
Le 28 septembre 1958, l’Algérie des campagnes et des villes avait approuvé la politique du 13 mai.
Les musulmans avaient rejeté le FLN, les Européens avaient leur nuit du 4 août en se plaint à l’idée d’égalité. Une élite d’Arabes et de Berbères était sortie du silence pour être élue aux cotés des Européens. (OUI = 85%)
Le nouveau chef de l’état avait annoncé en octobre de cette année 1958 à Constantine un vaste plan de relance économique pour remettre l’Algérie en marche.
Page 482, 487 : 24 janvier 1960 : Journées de barricades.
Deux jours plus tard il (le général) s’adressait à nous d’une voix paternelle et bourrue : « Français d’Algérie, comment pouvez vous écouter les menteurs et les conspirateurs qui vous disent qu’en accordant le libre choix aux Algérien, la France et de Gaulle veulent vous abandonner, se retirer de l’Algérie et vous livrer à la rébellion ? »
L’armée, qu’elle y crut ou non, attendait ces paroles alors que les pieds-noirs n’en sentirent que la ruse.
Affaire SI SALAH (Wilaya 4). Fin mars 1960. Ils s’étaient trompés. De Gaulle ne voulait pas de redditions, petites ou grandes, il voulait le GPRA pour seul interlocuteur.
Le 8 janvier 1961, par 56 % des voix, les Français reconnaissaient à leur Guide le pouvoir de remettre aux mains du FLN cette Algérie qui avait coûté en 130 ans tellement d’efforts, de peines, de morts et devenait si lassante.
A cette époque les forces musulmanes servant la France avaient atteint 120 000 hommes, tandis que les forces du FLN n’en étaient qu’à 33 000, campés presqu’en totalité de l’autre coté des frontières.
Ce 22 avril 1961, Maurice Challe prenait la tête de la révolte. Les vieux soldats vainqueurs et battus, loyaux et bernés, entraient dans la sédition. Ils n’avaient pas varié. Le sens des mots, lui, avait changé.
Page 497 : N’était-ce pas pourtant le moment de rappeler à tous comment de Gaulle lui-même avait fait établir par ses juristes au temps de la libération que la légalité n’était pas la légitimité et que le respect des ordres et de la loi n’était pas toujours une excuse ? « Il y a parfois des cas où le devoir d’obéissance doit céder devant le devoir tout court et se muer en devoir de désobéissance ».
Page 507, 509 : Quant aux appelés du contingent, ils sont pour la quille. Qui s’en étonnerait ? Ceux du « plan Challe » qui avaient vaillamment combattu, vu la victoire et parlé chez eux de l’accueil souvent chaleureux des mechtas sont repartis. Ceux d’aujourd’hui ont appris de la presse, de leurs officiers et de leur président que cette guerre sans cause ne mène à rien, que les Arabes ne seront jamais des gens comme eux et que les pieds-noirs ne le sont pas. Ils se racontent l’histoire du colon qui vend un verre d’eau à un soldat.
Un peu partout les appelés métropolitains rechignent, sabotent et parfois bouclent leurs officiers. A Constantine, ils ont tourné la bouche de leurs mortiers vers les quartiers européens.
A leur intention, GG me fait passer un communiqué libérant avec un mois d’avance une fraction de la classe 1959. … S’ils on entendu cette annonce, je doute que les intéressés s’en soient souciés.
Page 520, 523 : Le « putsch ». Quelle ironie dans ce nom germanique que de gaulle et la presse veulent déjà donner pour l’histoire de France à cette bravade alors que, de toute évidence, Paris n’a jamais eu à craindre de coup d’état.
On ne lance pas un coup d’état pour des principes et on ne le conduit pas avec des scrupules, le Guide le savait bien ; on le conduit comme une guerre, sans pitié et sans s’inquiéter de la vérité, pour l’ultime butin : Le pouvoir.
Qu’est-ce que l’honneur ?
Qu’est-ce que l’honneur sinon la bonne opinion de soi qui ne regarde que soi. L’autre honneur, le pouvoir vous l’accorde tout aussi bien en vous offrant la considération du plus grand nombre. Les honneurs servent là d’honneur.
Page 528 : Je ne sais pas où je vais ; je sais ce dont je m’éloigne : L’ablation de la mémoire française d’Algérie. Inimaginable il y a seulement trois ans, cela semble désormais inéluctable. Le Guide opère.
Page 537 : Pour beaucoup de musulmans, c’était la détresse la plus noire ; pour d’autres, les premières réjouissances, sans comprendre que le butin ne serait pas pour eux et que de Gaulle ne les menait pas vers un état algérien parce qu’il les respectait mais pour s’en débarrasser parce qu’il les méprisait.
Page 543 : Les chefs OAS se déclaraient contre toute tentative d’assassinat du général de Gaulle, ce qui était d’ailleurs l’opinion la plus répandue : « Pourquoi lui donner l’auréole du martyre quand il est mûr pour la Haute Cour ? ».
Page 558, 559 : Deux compagnons de la libération qui ont animé la Résistance française, l’un , Bidault, de l’intérieur, l’autre, Soustelle, de l’extérieur, et qui ont connu les sommets de la puissance politique, servant filialement de Gaulle, tous les deux proscrits.
… la malfaisance d’un autocrate qui gouverne dans l’arbitraire par ses polices et ses référendums à double question.
Page 569, 571 : Le FLN détenait 346 militaires français. Il devait les libérer au lendemain des accords d’Evian en contrepartie des milliers de fellaghas relâchés en France et en Algérie. Il nous en rend 11. On ne sait où sont les autres, sinon quelques-uns qu’on aurait vus trimballés de village en village dans des cages sous les crachats. Aucun service religieux ne sera rendu à leur mémoire, ni à Paris, ni à Alger : « Le FLN se sentirait offensé ».
Et qui peut comprendre comment l’homme de l’honneur et du refus soit devenu celui du reniement et de l’abandon ? Pour gagner l’estime des pays arabes ? Ce ne sont pas les vertus qui à leurs yeux font des héros.
On essaye de se fermer les yeux devant l’ampleur du génocide.
… Ils ont depuis longtemps trouvé dans les années de l’occupation allemande les images qui oblitèrent tout remords : Les notables collabos, les harkis mercenaires, les pieds-noirs profiteurs et l’OAS fasciste, cause de tous les maux.
La comparaison qu’ils ne font pas est celle du silence si justement reproché au maréchal Pétain devant l’exécution des otages et la déportation des juifs, avec celui de de gaulle devant le sort des morts et disparus d’Algérie. Un sort qu’il a d’ailleurs décidé de son seul chef sans la pression d’une armée d’occupation.
… Je l’ai su , mais je n’ai pas voulu d’abord y croire : La nation française est morte en Algérie au printemps 1962.